Harmonie pastorale : Berger.e.s - n°3
Berger, un métier séculaire, touche à tout et tellement plus !
Berger, vacher, chevrier, pâtre, différents noms selon le genre de cheptel, mais égaux face aux responsabilités qu'incombent ce métier. Populaire par sa représentation dans la crèche, et par tous les pays où il est présent, cette profession reste néanmoins floue pour beaucoup.
Les origines

Loin de l'image d'Epinal tel un grand gaillard, peu soigné, la barbe hirsute, le béret vissé sur la tête, un mégot aux bords des lèvres gardant son troupeau la houlette à la main, un morceau de pain et de tomme dans la biasse. Ça c'était le pâtre jusqu'en 1960, ou ce qu'il en restait. Car oui, ce métier multiséculaire a bien failli s'éteindre et entrainer de lourdes conséquences sur les espaces montagnards.
En effet, jusqu'en 1800, le chargement sur les surfaces, le
nombre de fermes par commune ainsi que la densité d'habitants étaient
équilibrés et stables en zone de montagne. Puis vint un premier exode rural
entrainant le délaissement des pâturages et dans le même temps, une croissance
en demande de bois engendrant la plantation massive de résineux dans les zones
accidentées sous l'égide de Napoléon III.
En 1882, la loi Restauration de Terrains en Montagne est appliquée pour planter
avec plus de réflexion et de technique, mais toujours au détriment des zones de
pâtures abandonnées.
A la première moitié du XX° siècle, le pastoralisme se meurt un peu plus face à
la difficulté de la modernisation de l'agriculture (mécanisation, apports d'intrants,
remembrement des surfaces), un manque de main d'œuvre généralisé et qui plus
est en altitude. Pour les politiciens productivistes, « c'est une activité agricole passéiste, non
viable économiquement puisqu'il n'est pas possible de la moderniser ».
La disparition du pastoralisme
entraine de graves et multiples conséquences :
- paysagère : enfrichement, boisement, homogénéisation des paysages,
- économique : disparition de races rustiques d'élevage, raréfaction de la
production de fromages de montagne, appauvrissement des fermes et territoires
ruraux
- sociale : détresse ressentie, perte de bassin de vie
- environnementale : augmentation accrue de risque d'avalanche, d'incendie
et d'éboulement.
Ce sont les techniciens forestiers que l'on écoute bien plus que les
agriculteurs qui se battront dès le 20° siècle
dans les sphères décisionnelles pour donner des moyens à l'agriculture
de montagne de subsister dans un premier temps, puis de renaître.
Dès 1960, les organismes techniques en foresterie, en agriculture et les
politiciens se réunissent pour évoquer les enjeux de l'agriculture de montagne
et tout ce que cela implique, afin d'aboutir sur un projet législatif en
1972 : la Loi Pastorale.

Essayez
d'imaginer que sans cette loi, il n'y aurait plus de pâturage en montagne et
dans les zones accidentées. Ainsi, les paysages tendraient vers une
homogénéisation de versants boisés, nous aurions bien moins de diversité
fromagère, moins de races animales, végétales que ce soit domestiques ou sauvages,
sensiblement moins de sentiers en montagne car ils ne seraient pas
régulièrement empruntés par les bergers et leurs troupeaux...
Cette loi permet d'appliquer une politique publique sur des territoires
d'exception où règnent de nombreuses contraintes, afin de moderniser une
activité traditionnelle permettant de faire vivre tout un système en altitude
pour maintenir des productions et permettre un meilleur entretien des espaces.
Peut-être un peu technique, il est tout de même important de
connaître les outils inclus dans cette loi, car c'est à partir d'eux que tout
s'est peu à peu reconstruit et demeure encore aujourd'hui :
-> la Convention Pluriannuelle de Pâturage est un fermage plus souple que le bail rural classique et
prend en compte les autres usages du site (sentiers de randonnées, domaine de
ski, accès à des voies d'escalade…)
-> l'Association Foncière de Pastoralisme est un regroupement de propriétaires dans un périmètre
donné afin de valoriser collectivement les terres et faire appel à un éleveur
ou un GP.
-> le Groupement Pastoral est un regroupement d'éleveurs
qui exploitent en commun un périmètre donné afin de mutualiser les efforts et
les financements.
Dès promulgation, la loi est appliquée avec quelques rajouts ou modifications
au fil des années mais toujours dans l'esprit de faciliter et de maintenir l'activité
économique agricole, dans ces territoires jusque-là délaissés par les
politiciens et les populations.
Concrètement, cela signifie que les agriculteurs de montagne ou ceux souhaitant exploiter des pâtures d'altitudes, sont conseillés, épaulés et invités à rejoindre un collectif pour mutualiser des moyens à fins pastorales : création de pistes d'accès aux estives, rénovation de cabane de berger, installation de parc de tri, débroussaillement mécanique pour rouvrir les milieux, création d'abreuvoirs… Cela signifie également que les propriétaires de zones pastorales (communes, Etat, privés) sont invités à les louer aux éleveurs.
Et le pâtre dans tout ça me diriez-vous ? Lui, il
revient peu à peu habiter les montagnes, les collines, les coteaux. Son travail
reprend tout son sens lors de la période estivale, surtout depuis le retour du
loup où la garde change quelque peu, où la responsabilité au troupeau est
renforcée. Il en est d'autant plus indispensable ! Aujourd'hui le pâtre, le chien
de protection et les parcs de nuit sont présents dans chaque zone pastorale où
les prédateurs se font sentir. C'est en tout cas le menu obligatoire de l'Etat
si l'éleveur souhaite se faire indemniser suite à des attaques. Sans tout ce
dispositif contre la prédation, c'est à ses risques et périls et argent
comptant.
Le pâtre, un véritable couteau-suisse
D'un
tempérament calme et solitaire, le pâtre est débrouillard et sait improviser.
Souvent éloigné de toute agitation civile, son quotidien tourne autour de son
troupeau, sa journée en est rythmée, ses rêves en est peuplé. Le pâtre est
responsable de son troupeau comme un tâcheron viticole est responsable de sa
parcelle de vigne : sa santé, ses besoins (herbe, eau), mais est aussi
responsable de la montagne qu'il occupe un temps.
Derrière un pâtre se cache un condensé de trois domaines de
compétences et de connaissances, tels des sous-métiers qui ont toute leur
importance : éleveur-vétérinaire pour tout ce qui à trait au troupeau,
technicien agri-environnemental pour faire le lien entre les besoins du
troupeau et la ressource présente sur la montagne, et, médiateur touristique
pour les nombreuses rencontres inopinées avec les visiteurs.
L'incontournable veille sanitaire du troupeau
Anticiper les déplacements, prévoir des itinéraires alternatifs, renforcer les
soins en zone minérale, posséder une pharmacie complète, lire et comprendre le
comportement des brebis, observer l'entité de groupe, adapter le plan de
pâturage. Toutes ces actions sont la nature même du berger au troupeau. Il est
le substitut de l'éleveur, il agit en tant que tel, essayant de prendre les
meilleures décisions lors des moments d'improvisation. Faisant preuve
d'organisation et de sang-froid, les soins ne sont pas prodigués au hasard. Le
berger profite du rassemblement du troupeau dans le parc de nuit ou lors de la
chaume, pour procéder aux soins sur les brebis qu'il aura repéré en amont lors
de la journée de pâturage. Les principaux symptômes sont les boiteuses,
l'isolement et la lenteur des déplacements. Très vite repérée dans la masse, la
brebis est alors immobilisée, soignée, marquée et répertoriée dans le cahier de
soins. Nous faisons le choix de noter toutes nos observations sur le
troupeau : soins apportés, transhumance, prédation, passage de l'éleveur
afin de mieux suivre les brebis malades.
Au Jas de l'âne, estive très
minérale nous avons principalement fait face à des boiteries comme quelques
pattes cassées et du piétain qui est une infection liée au piétinement dans les
zones humides, pouvant évoluer vers du gros pied si ce n'est pas vu à temps ou
mal soigné. Et, avec 4 pattes, 4 fois plus de risque de trouver mal ! La
perte de matrice douloureuse pour la brebis, est également assez impressionnante
à soigner. Puis vient les contusions de plaies qui peuvent s'infecter. C'est
avec une surveillance de près que les brebis n'en font pas trop les frais.
Voici en pratique les maladies et soins effectués cet été : âme sensible s'abtenir pour la 4ième photo.
Afin de conserver la bonne santé
d'un troupeau tout au long de la saison, il est primordial de posséder une
trousse de soins pour parer à tous types de soins :
-> toutes plaies : bombe désinfectante
-> si infection :
aiguille-seringue-antibio, huile de cade et pince plate si vers, bande de
tissus…
-> descente d'organes : pessaire ou eau-gants chirurgicaux
-> éparage des pieds et piétain : sécateur/couteau
En cabane, il est préférable d'avoir quelques cagettes d'avance, afin de pouvoir créer des attelles pour des pattes cassée, substitut du plâtre décrié par certains éleveurs.
Ces séances de soins sont effectuées quotidiennement
afin de parer à tous les petits bobos du jour et suivre les évolutions des
maladies plus conséquentes, car selon les itinéraires de pâturage et la météo,
le berger peut avoir fort à faire. Réactif et investi, il doit soigner selon
toutes circonstances, savoir laisser partir et accueillir les nouveaux venus,
tel un vétérinaire avec bien moins d'outils et d'assistance.
Sans montagne, pas de troupeau.
Sans troupeau, pas de berger. Sans berger, pas de montagne
La montagne ! Elément essentiel pour un troupeau, espace complexe pour le
berger. Savoir s'orienter, lire la topographie, arpenter le dénivelé, marcher
comme un dahu au risque d'en devenir un, connaître les plantes et leur
appétence, comprendre l'articulation des faciès pour imaginer les biais de la
saison. Voilà ce que représente la montagne pour le berger qui l'observe, la
pratique, l'endure.
Le pied montagnard, le berger doit savoir interpréter les signaux que lui envoie les astres pour mener à bien sa mission. Je parle évidemment de ce qui est visible, comme le mauvais temps qui s'annonce, les auréoles de chaleur, le vol stationnaire de rapaces mais aussi ce qui vient de l'instinct, du sixième sens à force d'expériences. Pour cela, il faut absolument être à l'écoute du troupeau, des usagers, de la montagne et de soi-même. Sinon travailler dans ce milieu magnifié par tant de beauté, peut vite devenir hostile, telle une prison dorée, la Drosera qui se referme sur sa proie.
Chaque année qui passe, le berger attend avec impatience de
pouvoir attaquer sa saison pastorale, embrasser les cieux, tâter les cimes,
vagabonder dans des lieux inconnus du grand public, croiser la faune,
contempler une vastitude sauvage. Pour tout cela, il faut trouver une montagne
répondant aux attentes du berger, un éleveur donnant confiance, un troupeau pas
trop exigeant et une cabane digne de ce nom. Ensuite les choses se font très
naturellement, tant que le berger veuille s'émanciper tout là-haut.
« Chaque jour est plus merveilleux que le précédent » disait le
Berger au Jas de l'Ane. Pour en arriver à ce niveau de pleine satisfaction, il
faut savoir apprécier tous les petits dons de Mère Nature : le regard
furtif d'une marmotte, le trot d'un chamois, le passage d'un bouquetin, un coucher
de soleil orangé, un arc-en-ciel entre deux versants, un torrent en ébullition,
un panel de couleurs florales… Tout berger s'essaye au moins une fois à une
transhumance en montagne car toute sensation, toute observation est
démultipliée, sans parler de la sobriété de confort que le berger cherche
inconsciemment. La quête d'une vie. Trouver du sens dans une société où il n'y
en n'a plus. Se contenter de peu, aller à l'essentiel. Se sentir si petit, si
nu, si rien face à l'immensité de la montagne, de l'univers. Voilà tout ce que
nous véhicule la montagne, quand on y habite avec un troupeau.
Un métier isolé devenu la vitrine de la montagne
Les personnes extérieures à notre environnement nous questionnent souvent sur
la solitude. La solitude fait partie de notre métier bien qu'aujourd'hui elle
se fasse plus rare. Nous devons l'apprivoiser, non pas la combattre. Nous en
faire notre, et pas une ennemie. La laisser nous envahir quelques fois et
sombrer dans la mélancolie, afin de mieux apprécier les périodes où elle se
fait distante. Chez les bergers, la solitude provoque parfois la même anxiété
que le passage des touristes dans leur alpage, ils se sentent envahis. En
effet, les alpages peuvent être proches de spots touristiques où les balades en
familles sont nombreuses, ou alors sur des domaines skiables où la
fréquentation peut être importante. Ce n'est pas tant la fréquentation qui est
problématique mais les comportements de certains et les pratiques d'autres.
C'est face à cette consommation accrue des espaces, que le berger est obligé de
s'imposer, d'aller au-devant et de discuter, d'échanger sur le bienfondé du
pastoralisme, de la quiétude en montagne.
Dans notre quartier du haut, notre cabane est à proximité d'un lac, point de retour d'une balade familiale depuis le Col du Glandon. Nous sommes préparés à faire de la sensibilisation voire de la médiation quand il sera nécessaire. C'est un rôle prenant de plus en plus de place depuis que la montagne est aussi lucrative, aimée et visitée. Pour perpétuer un bon partage de la montagne, il est de notre devoir de faire cette prévention, de bavarder avec les visiteurs, d'échanger avec les locaux sur des thèmes parfois épineux, comme les prédateurs. Si l'agriculture de montagne subsiste aujourd'hui, c'est grâce au terroir qu'elle renvoie, grâce à la tradition ancestrale et folklorique qu'elle prolonge. Le berger fait partie de ce système d'antan, évoluant doucement, pour se différencier d'autrefois.
Berger, Bergère, aide-berger, et Cie
Jadis le berger était
bien souvent le fils de l'éleveur ou un garçon de ferme qui savait à peine lire
et compter, et que l'on envoyait dans les pâtures d'altitude durant tout l'été.
De nos jours, le métier est tout aussi rude pour la partie gardiennage mais à
cela s'ajoute le poids des prédations et le joug de nos sociétés.
D'après de nombreuses études faites sur le sujet, trois grands axes d'évolution ressortent : la féminisation importante du métier, la réorientation des parcours professionnels et un rajeunissement du profil. Mis à rude épreuve, cette profession maintient en moyenne la personne dans cette activité sur seulement 5 ans. 5 ans pour se faire à l'idée que le confort est sommaire, 5 ans pour tenir un travail sans perdre haleine de 2 à 4 mois arasé par la météo, 5 ans pour faire le tour des massifs, 5 ans comme une brève parenthèse dans une vie de famille, 5 ans de bons et loyaux services vers un éleveur qui ne vous rend pas la pareille, 5 ans le temps d'éduquer un chien de conduite et s'en servir au temps fort de son apprentissage.
Un berger porte plusieurs
casquettes professionnelles dans son métier phare mais également échelonnées
tout au long de l'année. En effet, la campagne pastorale d'été varie de 2 à 5
mois selon les montagnes. Le reste de l'année, le berger retrouve sa famille,
profite de moments intimes précieux. Il peut continuer à travailler dans le
milieu agricole comme des exploitations, des services publics ou de l'Etat, des
formations. A savoir que les bergers peuvent être salariés d'un éleveur mais
peuvent être également éleveur. Le berger peut développer son activité
d'artisanat ou s'employer dans les nombreuses filières saisonnières (restauration, hôtellerie,
domaines de ski) pour lui faire un complément financier indépendant et
complémentaire.
Nous par exemple, nous avons travaillé en bergerie en automne pour l'agnelage. L'hiver a été consacré au repos, divertissement, et surtout à la préparation alimentaire et physique pour notre future estive.