Boires et déboires, les grandes manoeuvres ~ 2024

24/06/2024

Faire face à des situations cocasses et anecdotiques pour pimenter notre quotidien !

Le 05 juillet : Plus qu'un jour sans fin, mener le troupeau à tout prix et au-delà des vastes contrées pour rejoindre l'alpage, comme une terre promise 

     Une journée qui commence par la préparation pour l'héliportage, un gardiennage en majorité seul entre route et rivière pendant que l'autre range les affaires à la cabane, c'est déjà bien assez chargée et intense.
Mais voilà que l'éleveur juge bon d'emmener les brebis à 19h - lorsque nous manoeuvrons pour les parquer - sur un autre site d'alpage afin de procéder au comptage et au tri des béliers.
Bien malgré nous, le Berger aide à donner la bonne direction aux brebis puis nous décidons de rentrer dans notre cabane d'alpage. Levés depuis 3H du matin, nous y arrivons à 20H. Pendant ce temps, le troupeau marchera 2Kms sur la route pour rejoindre le parc de nuit et se faire manipuler par l'éleveur.
     Le lendemain, rebelote nous n'avons pas la même stratégie que l'éleveur. Depuis le site de nuit, nous menons à l'aube le troupeau jusqu'à notre alpage soit environ 4Kms. Son objectif est d'amener le troupeau au quartier 1 : la cabane de l'âne. 
Il est 9H, le troupeau est aux portes de l'alpage, sur le quartier 4 et il fait déjà si chaud pour elles !
Elles ne mettent pas longtemps à chaumer au niveau du Clos de Buyant et y resteront 4h sans bouger d'un iota.
C'est non sans mal que nous pousserons les brebis jusqu'à la cabane. Comme nous ne pensions pas décoller de la chaume nous avons laissé les sacs en bas de l'alpage ainsi que la clé de la cabane, erreur fatale.
Dans l'ensemble, le cheminement se passe bien sauf dans une descente en entonnoir rocheux qui nous fait perdre environ une heure.
Pendant que le berger termine la traversée, l'aide bergère retourne chercher les sacs, la batterie solaire et rapproche le camion du quartier 1.
     Il est 21h, nous sommes rincés mais les 1431 brebis sont là, et c'est ce qui compte.

Le 7 juillet : Laisser partir pour apaiser...

Nous voulions nous tenir à l'écart de la mise à mort, tant celle-ci nous est injurieuse.
Il nous semblait être honnête de piquer cette brebis jusqu'au sang pour l'épargner de ses douleurs, et jeter sur elle une ombre dont les vautours en viendront à bout.
Voilà le point obscur dans cette journée où le ciel bleu régnait malgré tout.
Même la mort et son dégoût nous instruit.


Le 12 juillet : Le peloton autour du parc et une belle échappée

          Après une longue nuit arrosée, la matinée de cette journée pas comme les autres s'annonce tout aussi humide. Alors c'est par bienveillance et amour que le berger est parti seul ouvrir le parc et donner le biais à ses belles dames. Pour l'aide bergère, sa demi-journée est consacrée aux commodités à la cabane : ménage, cuisine, préparation pique-nique et rangement lors de quelques éclaircies.
Sous les coups de midi, le troupeau est guidé vers les pierres à sel et se fait trier pendant environ 2h pour soigner les brebis qui en ont besoin. Jusque là, c'est une journée tout à fait normale.

          Nous décidons de nous poser pour manger à mi-chemin entre la cabane et le troupeau. C'est par un œil distrait que nous apercevons un lot de brebis - appelé coupon chez les bergers - monter sur les hauteurs et donc tirer le troupeau. C'est après une courte sieste, que nous décidons d'aller voir où en est ce fameux coupon. Force est de constater qu'avec 15 minutes d'avance, la tête de course est déjà haute. Par tous les moyens nous essayons de l'arrêter : onomatopées , coup de chien, rattrapage, ... Rien à faire, cette ambiance électro-orageuse les pousse à monter toujours plus haut et malheureusement nous y contribuons aussi. C'est alors que le ciel devient sombre et menaçant et il se met à pleuvoir.

Nous poursuivons notre chemin hors sentier et dans des pentes très soutenues. Si ça continue, nous allons arriver au lac à cette allure-là. Après une légère accalmie de la pluie, voilà que la grêle arrive et de plus en plus violente. Comme les romains, nous nous mettons en position tortue et nous nous abritons tous les 3 sous le parapluie.

           Une fois l'orage passé, nous continuons un peu plus vêti et nous observons enfin le coupon conséquent : environ 350 brebis avec comme par hasard nos 4 flocas sur 5. (un article sera bientôt dédié aux flocas).C'est donc soulagés que nous rassemblons les brebis mais avec une grande crainte concernant leur retour au parc. Deux itinéraires s'offrent à nous : soit rejoindre le lac qui est à quelques encablures et redescendre par le pierrier, soit faire le chemin en sens inverse.  

     Nous avons échangés et optés pour la meilleure stratégie à ce moment là. Il n'était pas prudent de traverser 3 torrents bouillonnant en dessous du lac.
Le sol est boueux, les pierres roulent, les rochers glissent, un coup sous la pluie, un coup dans le brouillard le plus total. C'est donc avec la plus grande précision que nous poussons doucement les brebis.
Quand les nuées s'estompent, d'un rapide coup d'œil l'instinct d'analyse reprend : la pente, les barres rocheuses, les éboulis, sont de potentiels dangers pour le troupeau. Nous avons nos 4 flocas, nos 2 GPS, elles devraient donc toutes être là. 

          De nouveau le brouillard. Il est 17h, nous devons descendre. Avec des brebis tout prend des proportions différentes : le chemin s'étale, le temps file, chaque action sur le troupeau a une incidence. Nous positivons, nous devrions être au parc avant la nuit.
Lorsque nous avons trouvé notre coupon, nous pouvions voir le reste du troupeau 200m plus bas, au pied des barres rocheuses. Nous espérons le retrouver ce soir pour le rentrer rapidement avant un autre orage.
La pure Mérinos est réputée pour être une très bonne marcheuse. Mais alors notre coupon, c'est la crème du troupeau : des brebis qui n'ont pas peur des pentes et des terrains accidentés. Guidées par les flocas, connaisseurs de l'alpage, pour toujours aller chercher la meilleure herbe, la plus tendre et la plus goutue.
Tels des descendeurs de zones de trials, nous apercevons enfin le parc de nuit et le reste du troupeau. Il est 18h30 quand nous rejoignons le parc et le reste du troupeau, il est donc l'heure de tout rassembler pour la nuit.

     Ce soir, nous ferons notre 1ère flambée à la cabane pour chasser toute cette humidité et faire sécher nos équipements. Le repos sera bien mérité car demain une grande journée est prévue. L'aide bergère partira tôt chercher du frais et finira sa journée sur de la mise en place de parc de nuit. Le berger quant à lui gardera seul sur un quartier où les pierres roulent.  


Le 3 août : L'instinct de berger ça se cultive mais surtout ça s'écoute...

          Ce fut une journée comme les autres. Nous avons profité de la pluie de la nuit pour faire boire les brebis en consommant l'herbe encore mouillée. Le biais a été donné dans les éboulis et il a été respecté. Vers 11h, le troupeau a commencé à chaumer dans le pierrier et quelques-unes mangeaient cette belle rampe enherbée.

          Pour la pause méridienne, nos proches en visite nous ont rejoint et ont pu observer notre travail et notre troupeau. "on ne dirait pas qu'il y en a 1400, toutes regroupées comme ça", nous ont ils dit. Après une courte pause et un rattrapage des brebis dans les barres, le troupeau s'étale de nouveau. Finalement si, il y en aurait bien 1400 d'après nos proches.
Le berger garde son air dubitatif pour lui. Il lui semble que tout le troupeau n'est pas là mais où seraient passées ces brebis ? Dans les éboulis aucun échappatoire n'est possible, donc le coupon serait parti avant... Mais où ?
La journée s'est donc passée ainsi. Tranquille, calme mais avec une once d'inquiétude qui plane chez les berger.e.s.Il était 18h quand nous avons commencé à aller chercher les brebis les plus loin, après le chemin qui mène au lac de l'âne, pour se diriger doucement vers le parc de nuit. Sur le sentier nous avons rencontré un randonneur de la vallée qui connaît bien cette montagne. Après un bref échange sur sa randonnée du jour, il nous demande si toutes nos brebis sont là. Durant 15 min, il tente de nous expliquer l'endroit où il a vu des brebis similaires aux nôtres il y a quelques heures : même couleur, même nombre de brebis qu'ici, où nous discutons. Après un moment d'incompréhension ou de suspicion du voisinage, nous comprenons que nous avons peut être un coupon dans notre prochain quartier, celui de la semaine prochaine où il y a de nombreux points d'eau. Nous gardons bonne figure devant le randonneur, le remercions et repartons. Le berger décide d'aller jumeler le quartier en question pour en avoir le cœur net. Pendant ce temps l'aide bergère rentre tant bien que mal le troupeau dans le parc de nuit. Sans V'Alpen, la tâche est bien plus hasardeuse. Le constat est sans appel : il y a très peu de brebis en soin et seulement 4 flocas présents devant ses yeux. Nous avons donc bien un coupon de plusieurs centaines de brebis. A l'horizon pas de berger, lui aussi a du observer notre reste du troupeau. 

            L'aide bergère rejoint le coupon et son berger sur la route du retour pour aider à parer. Environ 500 brebis dont les 2 flocas, et la majorité des brebis en soin devant nos yeux. En 45 min, le coupon est rapatrié au parc, laps de temps qu'il faut pour traverser deux énormes pierriers avec des brebis dont la panse est bien remplie. 


Le 31 août : Un ravitaillement en roues libres

Pour l'aide bergère ce fut un jour de ravitaillement comme les autres. Afin de ne pas manger que des bocaux et des boîtes, nous avons fait le choix lors de la préparation de la campagne de descendre chercher des fruits, légumes et laitages tous les 15 jours, lors du marché de Bourg d'Oisans.
Bien que cela ne soit pas une journée de gardiennage, le jour de ravitaillement est loin d'être de tous repos. En effet, en pleine saison touristique, le marché est un lieu de passage pour tous les sportifs des vallées environnantes. Bourg d'Oisans bourdonne entre cyclistes et marcheurs, français ou étrangers. La grande surface, dernier commerce avant les sommets, est également prise d'assaut. Le marché, les courses et la lessive sont donc un parcours du combattant pour rentrer dans le timing de la demie-journée, soit 3h sur place. Car il faut bien compter 1h30 de bitume pour aller et venir et à peu près autant pour la cabane. Après, il s'agit de réussir à tout monter, car même si l'aide bergère est devenue costaude, elle ne sait toujours pas porter plus de 15kg sur son dos ! Donc plusieurs voyages sont effectués, souvent 2, si 3ième il y a, il est fait par le berger. Enfin, place au rangement et à la préparation des futurs repas.

          Pour ce dernier jour du mois d'août, la descente au ravitaillement s'est plutôt bien passée même si c'est toujours un effort de se mélanger à la vie civile 'normale' avec notre vie insolite tout là haut. Petite, les parents de l'aide bergère lui disaient : "P.P.L.M.V. = Pars pas les mains vides". Même tempo quand on part de la cabane. On en profite pour descendre les poubelles (de ménage et de tri), le linge en retard ou épais et les contenants alimentaires vides. Alors parfois, le chargement peut être lourd et mal équilibré. Lors de cette descente, l'aide bergère a perdu la poubelle ménagère dans la pente. Une fois récupérée, c'est reparti pour la rando avec la claie de portage.

   Une fois à Bourg d'Oisans, ça fourmilliait de partout, visiblement les touristes n'étaient pas encore partis. Galère pour circuler, galère pour se garer, le timing était serré comme d'habitude, mais ça l'a fait. Elle s'en retourna donc, direction le barrage de GrandMaison avec 2 cagettes de fruits et légumes, 1 cabas de courses grossier, 1 cabas de lessive et 1 glacière de produits laitiers. Et c'est tout me diriez-vous ? Oui, avec ça nous tenons environ 15 jours pour se nourrir confortablement à deux personnes et 5 fois par jour.

Continuez à lire, les péripéties arrivent. Ça c'était juste pour vous mettre dans l'ambiance des choses, vous montrer que même les jours 'off' ce n'est pas de tout repos. Et heureusement, nous sommes tous les 2 sur le même troupeau. Tout seul, le ravitaillement serait bien plus compliqué à organiser.

          Niveau logistique, le premier trajet retour à la cabane est toujours le port du frais compartimenté dans une caisse en dure afin de la réhausser d'une cagette. Pour le coup, ce samedi là, il y avait un étage supplémentaire avec une cagette remplie de nectarines et de tomates aux couleurs d'été. A la moitié du sentier, l'aide bergère s'octroya une pause en s'asseyant directement sur le bord du chemin. En songeant aux autres trajets à effectuer, elle essaya de se relever. Mais avec ces 15Kg sur le dos, plus facile à dire qu'à faire, surtout quand on a des cuisses en feu. Alors pour aider à faire levier, instinctivement elle se pencha en avant. En moins de 3 secondes elle comprit son erreur... Et vous ?

Dégoûtée et hébétée, elle regarda ses belles tomates charnues, ses brugnons rouges vifs et ses pêches si jolies, rouler et rebondir dans le pierrier. C'est donc avec la plus grande attention et précision que la claie de portage est stabilisée sur l'étroit sentier pour aller récupérer les fruits tapés et éventrés. Une fois ramassés, un ultime effort est demandé à l'aide bergère pour hisser son chargement au dos sans mouvement brusque avant de repartir à l'assaut de la montagne. Pour terminer de monter ses courses, il lui a fallu 2 autres trajets. C'était le dernier gros ravitaillement avant la désalpes prévue fin septembre.  


Le 13 septembre : Le berger, sentinelle de la montagne et de ses usagers

         Il était 17h quand le berger rencontra deux jeunes randonneurs lors de son goûter au pied du parc de nuit, sur le bas de l'alpage de La Lauze. Gardant toute la journée seul sous un très mauvais temps, il ouvra la conversation avec eux. Il s'avérait que les randonneurs d'une vingtaine d'années originaires de la région francilienne, sont en vacances à Vaujany. Ébahis par les montagnes alentours, ils décidèrent de se lancer dans une randonnée assez longue avec tout de même pas mal de dénivelé avec étape dans un refuge. Jusque là pas vraiment de problème, sauf si l'on regarde leur équipement : paire de basket, legging de sport, petite veste, bref pas de quoi s'aventurer en montagne toute une journée avec un temps pareil. Même l'aide bergère est restée à la cabane : burle, températures négatives, sol enneigé, grésil, intermittence de brouillard, très mauvais timing pour une randonnée. 

          Le berger leur indiqua le chemin pour sortir des berges du lac et rejoindre la route départementale des cols. Sans se préoccuper d'eux, il termina sa journée de brebis, c'est-à-dire dire qu'il les rassembla, les parqua et compta ses flocas. Ce n'est que lorsqu'il emprunta le chemin du retour, qu'il remarqua que les jeunes s'étaient trompés. Les rattrapant au pont, il décida de les amener chez un collègue berger ayant sa cahutte sur la route pour les dépanner pour la nuit. Par chance, le patron de ce berger était même là. Il a pu leur offrir le gîte, le couvert ainsi que le retour à Vaujany le lendemain.
Cette nuit il a gelé fort et beaucoup soufflé. Ces deux jeunes se rappelleront un moment de leur randonnée improvisée. Ils ont eu beaucoup de chance de ne pas se perdre avec le brouillard, de ne pas glisser dans la neige, ou encore de ne pas dormir dehors par ses températures. Les données du PGHM sont là. Cet été 2024 est un nouveau record pour l'assistance à personnes en danger en zone de montagne. Les secouristes plaident le non-équipement et la non préparation de la sortie. Ils déplorent le manque d'esprit montagnard pour tout ces visiteurs, qu'ils soient qu'une heure ou plusieurs jours en altitude.

Une sortie en montagne quelque soit la pratique sportive engagée, ne doit pas ressembler à une sortie au jardin des plantes.


Harmonie Pastorale - Les chroniques de V'Alpen
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